OBSEQUES de M. L'ABBE HENRI CHARLET
Morlaincourt a fait de grandioses obsèques au digne pasteur, qui, depuis 33 ans, y assurait le saint ministère.
Voici l'allocution que M. de Doyen y a prononcée, le 9 mars 1953 en présence de Mgr PETIT, évêque de Verdun, de nombreux prêtres des 3 paroisses desservies par le cher défunt :
"Si pour le cœur d'un évêque, c'est toujours une grande peine de perdre l'un de ses prêtres, c'est pour le clergé très uni d'un doyenné, une douleur au moins égale, et pour les paroissiens, une séparation pénible, surtout après 33 années de confiante collaboration.
"Votre lettre pastorale, Excellence, nous rappelait que les athlètes et les champions sportifs n'étaient pas seuls à réaliser de belles performances : notre défunt, dont toute l'existence fut souffrante et la santé fragile, nous montre ce qu'une foi profonde et une volonté de fer, à défaut de forces physiques, mettent au service d'un idéal, pour faire d'une vie, quelque chose de beau, d'utile et de grand.
"Né à Dannevoux, (à mi-chemin entre Verdun et Stenay, voisin de Montfaucon) dans ce cadre si calme et si enchanteur de la Vallée de la Meuse, M. l'abbé Henri Charlet était le dernier enfant d'un de ces foyers modestes, laborieux et profondément chrétiens, comme en compte tant nos paroisses nord meusiennes. Nous sommes ici, peu nombreux, à avoir connu la digne maman, mais beaucoup d'entre nous revoient encore, avec une sympathie admirative, le beau vieillard que fut le magnifique papa, si droit, si fin, si lucide, que tant de jeunes vicaires aimaient taquiner et respectaient à l'envie.
"Très jeune l'abbé Henri entendit l'appel de Dieu, auprès de l'oncle, curé à Brauvillers et Villers devant Dun. Plus tard auprès du frère aîné, son modèle et son fervent protecteur. Il fit de solides études qui devaient faire de lui un professeur distingué (il enseigna l'Histoire romaine et l'allemand en 1908) et un précepteur hors ligne.
Hélas ! La maladie de bonne heure entrava ses projets ; et l'on vit avec émotion et admiration le grand frère quitter son ministère paroissial, pour suivre et soutenir à Berck, le jeune abbé souffrant.
Dernièrement M. Le professeur Lecomte de Berck nous disait l'inoubliable souvenir qu'il gardait, à 78 ans, des deux frères Charlet, connus et hautement appréciés jadis, lors de leur long séjour dans la cité berckoise de la souffrance.
"Enfin, en 1907, ce fut le sacerdoce tant désiré : successivement, Savonnières-devant-Bar, Cousancelles, Morlaincourt et les annexes de Vaux, Chenevières, Saint-Aubin, Oey et Givrauval, bénéficièrent de son apostolat.
"Qui saura jamais toute l'énergie qu'il lui fallut souvent déployer, pour remplir son ministère, si lourd pour sa petite santé ! La bicyclette, en hiver le traîneau, et enfin l'auto, lui permirent, le mieux qu'il pouvait, d'assurer catéchisme et office. Durant l'occupation l'auto fut camouflée. En parfait résistant, M. L'abbé Charlet, comme son frère, n'étaient pas de ces opportunistes qui courbent la tête devant l'odieux envahisseur. Comme ces années furent pénibles, douloureuses, harassantes, et pour son pauvre corps mal nourri et pour son cœur de bon Français qui saignait à la vue de son Morlaincourt où le fameux chef de culture allemande régnait en maître despotique.
"Depuis plusieurs mois, la desserte de 2 annexes était devenue un fardeau pour le vaillant Curé qui, quand même, malgré tout demeurer au poste : à Givrauval, il fallait l'aide des enfants, pour tirer par les mains, le courageux Pasteur, qui, sans cela, n'aurait pu monter à pied, le raidillon de l'église. Un jour douloureux entre tous, il fallut capituler, laisser Givrauval d'abord, puis les deux autres églises.
La mort subite de M. Berthemin, le décès foudroyant de son distingué maire et ami, M. Robert Brion, furent deux coups tragiques dont il ne devait pas se remettre. Il y a quinze jours, il demandait l'Extrême-onction, sanctifiant sa longue agonie, par son chapelet et son bréviaire. Ce bréviaire, il y a quelques jours, lui échappait des mains ; le courageux malade abordait son éternité dans la soumission à Dieu, la reconnaissance envers ceux qui le soignaient et le sacrifice total de sa vie pour les siens et ses paroissiens.
"Je demande à ceux-ci de ne pas oublier celui, qui 33 années durant, leur a voué ses forces, son cœur et sa vie. Au retour de Givrauval, il s'arrêtait à Ligny, au presbytère ou chez des amis dévoués. Cher petit curé de Morlaincourt, vous aviez cherché les âmes de vos fidèles et vous veniez vous asseoir, lassé,"
sedisti lassus." Vous vouliez leur Rédemption, en portant votre lourde croix, "Redimisti, crucem passus". Puisse ce si grand labeur, si courageusement fourni, n'être pas inutile."Tantus labor non sit cassus". Que nul d'entre-nous ne ricane jamais de l'au-delà qui approche pour nous tous, quand nous voyons nos prêtres user leur vie, pour nous en assurer la plus sûre et la plus parfait réussite."Nous possédons dans les archives de Ligny, un curieux document, émanant de la Maréchale de Luxembourg, veuve du célèbre guerrier, demandant au saint Curé qui régissait alors la paroisse de Morlaincourt, une part de ses prières et de ses sacrifices. Nous voici en bonne et noble compagnie pour demander à la lignée des bons prêtres qui ont bâti la Chrétienté de nos paroisses, l'appui de leurs suffrages et de leur protection. Qu'ils nous gardent tous chrétiens pratiquants, sans peur et sans reproche. Qu'ils inspirent aux pères et aux mères, la générosité de ne jamais refuser leurs fils et leurs filles à l'Eglise, pour assurer à notre monde qui se meurt d'égoïsme et de haine, les semeurs de don de soi et de charité dont il a besoin, pour revivre dans la paix.
"Au nom de son Excellence, Mgr Petit, de tout le clergé présent et de toute l'assistance, j'adresse à M. l'Archiprêtre, à sa chère famille, notre peine profonde et notre ardente prière pour celui qui s'en est allé et pour ceux qui restent"